Lynn

Mots pour Maux.

Jeudi 21 juillet 2011 à 0:46



      Elle paraissait si frêle. A tort, on la pensait vulnérable. Mais nous avions appris à la connaitre, j’avais appris à cerner ce personnage plein de ressources, doté d'une force indéniable. Chaque jour elle se faufilait sans un bruit, sans un mot, de tête en tête. D’un œil vif, elle veillait.
Souvent, elle s’arrêtait à côté de moi, saisissait une chaise ou sautait sur la table ; un corps si léger que rien n’était perceptible. Elle restait là, observait quelques instants, lâchait quelques mots, puis d’autres, plus profonds & plus lointains à la fois. C’était devenu une habitude, un pli à prendre. Poursuivre le travail, garder sa concentration tout en écoutant. J’ai tout à apprendre, & elle tant à enseigner. Son discours aurait une fois de plus interpellé l’individu lambda, une idée vague débouchant sur diverses réflexions, mais je me fixais sur sa voix, comme un rythme novateur.

Une demi-heure venait de s’écouler :

« En fait, tous les artistes, ou tout du moins ceux qui valent le coup, sont des personnes torturées, des personnes qui sont détruites par quelque chose. C’est pire que de l'acide. Ils ont tous quelque chose. »

Fixés sur le papier, mes yeux se sont plissés. Cette première conclusion ne m’était pas étrangère, il m’était arrivé à plusieurs reprises d’observer de rudes souffrances chez divers artistes. L’équilibre entre ses mots & mes mains venait de s’estomper, juste un court instant, & voilà que la peinture se dérobait. Cellule de crise, animation momentanée : sa voix s’éloigne à son tour pour enraciner ma concentration le temps de trouver les coups de pinceaux qui pourraient rattraper l’imminente catastrophe. Le souffle, se baser sur le souffle, à défaut d’arracher quelques mots. Peu importe le temps pris, hors de cause, je lève la tête vers elle pour mieux l’écouter de nouveau. Or, pas un mot, simplement un regard, souriant mais me désignant.

 « C'est pour ça que je vous dis que vous y arriverez, que vous devez y croire. Parce que c'est pas vide du tout là-dedans : vous en êtes une d'artiste, la belle. »

Elle s’est levée, a tourné les talons, & s’est échappée de la salle sans que personne ne la remarque. C’était son unique conclusion à tout ce discours, & je restais là sans trop savoir que dire, sans trop pouvoir contester.

J’écris, je dessine, je peins. Je pense. Je crée.
& si c’était vrai. & si la guérison viendrait à me priver de mon rêve.
J’ai passé un an, un an rênes en mains. Une année à trouver ma vie, à en obtenir la possession. La première fois, le besoin de toutes ces années, une chose que jamais je n’avais eu la force d’obtenir. Certes. Mais une année faible en gros investissement, où mon travail se limitait à quelques plaisirs désintéressés & se reposait sur la confiance de cette femme. Elle m’a appris comment je fonctionnais, elle a su trouver l’emprise qu’aucun de ces prédécesseurs n’avait pu être en mesure de chercher. Des pièges que nous-mêmes nous pouvons nous tendre pour mieux nous donner. Un savoir digne de grands trésors. Je me sentais bien, je croyais au bonheur, je me sentais plus forte & plus apte à bousiller tout ce qui pourrait me bousiller. Une toute nouvelle vie, minée à l'oxygène.
Je n’ai jamais autant fournis, je n’ai jamais été aussi absorbée par ces travaux qu’au commencement de la chute, qu’au retour à la normale. Elle n’a dès cet instant plus cessé de croire en moi, & de me le répéter, me demandant sans cesse ce qui me poussait à ce point. Plusieurs fois, elle a mis le doigt sur ce qui m’avait bouffé, sur ce qui m’avait fait faire volteface, & persistait bien aujourd'hui ; sans lui répondre, je tentais de rester neutre. Pourtant je me demande si elle n’était pas pleinement consciente de ses dires, si elle n’a pas cherché plus loin, plus bas encore, dans toute son espièglerie. 
A la veille d’une année pleine de lourdes promesses, je tire mes propres conclusions à ses dires, sans pour autant lui répondre. Puisque je demande l’impossible, de donnerai l’impossible. Car bien que je donnerais tout pour affirmer le contraire, il semblerait que plus rien ne me pousse à être aussi volage, aussi lointaine de l’atmosphère studieuse, plus rien ne me poussera à profiter du rien à offrir. Rien ne me permettra de fuir cet endroit, ces gens. Mon refuge s’est fait fantôme par ma propre faute, & il ne me reste plus qu’à crouler sous les ambitions pour échapper à tout ce qu’il me procure, ou encore à ces traditionnels appels qui en saisiront plus d’un d’entre nous, d’ici quelques mois. Je me murerai là-dedans, cette fois, complètement, pour rester loin de tout, loin de vous, pour un investissement plein. Etouffante, mais investie, pour un unique espoir, celui de réussir.

Je ne sais pas si je suis ce que l’on peut désigner comme étant une artiste. Car être ou ne pas être dépend d’un seul & unique choix : celui de pourrir d’un mal toute une vie, sans emprise propre sur sa propre personne, ou d’en guérir, & diriger son existence en quête du bonheur. Guérir exclurait les besoins du rêve : faites vos jeux.




      J’aurai cette place, j’aurai tout pour vous prouvez vos torts, qu’il ne restera plus qu’à se résigner, que je ne saurai suivre, ne saurai fournir autre chose que ma création, mon esprit, mon fond. Insuffisants.

 





Lynn.L

Jeudi 14 juillet 2011 à 19:27

 

 

      Chaque jour. Pas un sans y songer.
Un mot, un geste, une expression, un objet, un lieu. N’importe quoi. Tout peut m'y ramener. Tout ce qui fait mon quotidien me renvoi à celui qui était devenu notre. 
Nous passions notre temps à nous raconter tant de choses, à marcher ensemble. Il était devenu naturel pour moi d’envisager la répercussion de chacune de mes actions - Tu n’aimerais pas son attitude, tu passerais ta main dans tes cheveux, tu ronchonnerais en silence. OK. Les jambes croisées, la paume sur le menton. D'accord. Ta hanche, un sourire. Ce sourire.

 

 

Le soir est vicieux, tout comme la nuit. Tout comme toi. Il est de mèche avec cette obscurité que je peine à dompter sans toi. Il me ment, me pousse à croire que tu es là pour apaiser mes peurs ; & parfois, j’ai l’impression que ça n’est plus le noir qui m’étouffe, mais le vide. Celui de la seule sécurité qu’il me restait, le vide que je n’ai pas le droit d’imaginer comblé.

 

 

      Des habitudes. Le souffle mort dans le bus, l’éternelle annonce au bas de la fenêtre, les chaussures en proie à de redoutables créatures, la cuisine sous ta direction, les petits plats improvisés, le lit cagibis, la petiote terrible, la guerre du pipi-room & l’attaque des alliés petits momains, l’acidité de l’eau, le deuil du rideau de douche, les fringues mêlées & uniformes.
Je cours toujours après les bus, mais plus jamais à ces arrêts, plus jamais avec cette impatience ou cette bulle rêvasseuse. Un rythme a été instauré contre ma porte d’entrée, un code déjà moins commercial qu’un prénom répété inlassablement à l’issue d’une course folle. J’ai appris à planquer mes godasses depuis une semaine, depuis que le chiot a manifesté une tendance au chewin gum. Je perds toujours le contrôle dans une cuisine autre que la mienne, j’ai d’ailleurs cessé de coopérer dans la plupart des cas, sans plaisir. Je crise si la salade n’est pas coupée ou sans citron, je réussis mes pattes mais préfère le souvenir d’une pizza ; manger mexicain ou faire du guacamol est devenu un véritable mémorial, autant que des frites maisons ou encore la soupe. Le lit est grand, froid ; il a un sommier, quarante couettes, cinquante coussins & il manque d’accroche, ce con. Je fuis toujours les enfants, leurs tristesses me rappellent la fameuse moue de miss Franklin-Barbapapa, trop semblable à la tienne. Me brosser les dents n’est pas aussi drôle sans dissimuler une grimace, & il m’arrive parfois de prendre ma douche assise, sans la surveillance malsaine du baigneur. La nuit, j’allume la lumière pour traverser mon couloir, des fois que les jouets du chien soient de ton côté & me fassent une crasse, qui sait. Les vêtements au sol sont uniformes, mais je ne me précipite plus en enfilant dix tailles en dessous, ils sont tous à moi, tous…

Je pourrais passer ma nuit, & peut-être même plus, à énumérer d’autres parcelles de ces trop courts quotidiens à tes côtés. Seulement j’aimerais bousiller ces automatismes, tu vois, afin de ne plus me souvenir comment est-ce que j’ai pu m’en priver. Mais il semblerait que je ne sois pas la seule à les trouver si bons, si précieux, & que là-haut aussi, c’est curieusement envieux de voir ce qu’il serait venu, après, à nous deux.




Lynn.L

Jeudi 14 juillet 2011 à 19:21

[2009. Une nuit de Décembre.]



      Je reste dans l’incapacité de donner du sens à ma récente peine qui me pousse aux nerfs depuis quelques soirs ; seules les causes restent claires, livides, limpides, bien trop limpides. 
Le manque me prend. Il me tient, me sert bien fort contre lui, alors que d’ordinaire il me boude, me touche du bout des doigts & me révèle lassante. Je ne lui ai jamais plu, je crois. Pourtant, les images, les souvenirs, les regrets qui ne cessent de flotter ont fini par attiser ses foudres. Il a suffi que ce nombre, un rien de saloprie, vienne s’afficher  & se réfléchir  en l’éternel compteur pour que BSB trébuche.

Ecrire ton nom m’est difficile. Tu me manques atrocement. Nos photos, nos souvenirs, ces instants qui n’ont jamais appartenus qu’à nous ne peuvent m’effleurer sans craintes. Tu es là, je le sais, autant que nos liens. Jamais je ne le croirai.
J’éprouve ce lourd besoin. Tout te dire, partager le bon, le mauvais. T’entendre me dire que tout ira bien, alors que nous avons toujours trop su que la façade était trop belle. Je m’en suis toujours voulu ; Ne pas croire à l’espoir inespéré auquel tu aspirais  n’a-t-il  pas été la plus grande des fautes ? Tu sais, Je ne t’ai jamais reproché  ce que j’ai toujours deviné : l’espoir restreint que nous possédions l’un & l’autre  ne s’est qu’involontairement niché en nous, avec tout le vice destructeur qui nous rodait. Sans doute l’as-tu entendu, on a toujours pensé trop fort.
Je revois nos mensonges en guise d’efforts, L’amour qui n’a toujours été que le premier présent. Je te revois, toi, ton corps, au sol, meurtri. Je n’ai pas perdu qu’un lien. J’ai perdu mon double, je me suis perdue moi, encore au-delà des frontières effacées. Nos racines sont les mêmes, ma vie a décrochée. Dans l’épaisseur de la neige, le temps n’effacera pas les pas que nous avions partagés, ils dorment là où nuls autres que nous ne peuvent les voir, les retracer. Mais on t’a volé, tes coups acharnés, les nuits atroces, ton supplice, l’ont emporté. Forcé à l’abandon, sans protection mutuelle, sans fusion sensible.

Je ne suis décidemment qu’une égoïste, je le sais bien mieux à ce jour que jamais. Je ne détiens pas le droit de souhaiter, rêver te voir surgir de nul part, vaillant, magnifique, heureux, vivant, de t’imaginer te poser sur moi, de toute ta délicatesse caractéristique à mon égard. Interdit est ton corps contre le mien, comme une promesse qui nous colle à la peau. Du silence, comme celui que je dois depuis garder, dans la plus grande transparence. Non, je le répète, je ne dois pas le penser, je l’écrirai juste.


      A la beauté de ta personne, au temps des cendres, à l’injustice que je brûlerai pour nous, à la rage qui prendra place, à la rancune qui trône ; tu resteras l’être & la part magnifique, le semblable dont nul ne peut rêver, celui que je tais aux rires pour mieux préserver en empire. A cet amour, qui est parti avec plus que lui-même, mais moins que tous ces souvenirs. B.






Lynn.L

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